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Ce n’est pas le coronavirus qui tue, mais le capitalisme (1er mars 2020)
Nous reproduisons ici, et traduisons de l’espagnol, la prise de position du blog Nuevo Curso (https://nuevocurso.org/) [1] sur la situation mondiale actuelle marquée par la pandémie de coronavirus au niveau mondial, et la campagne bourgeoise qui l’accompagne, alors même que les tensions impérialistes et guerrières franchissent un nouveau pas au Moyen Orient et que le "ralentissement" de l’économie mondiale annonce une crise brutale. Même si nous ne partageons pas mot pour mot tous les points soulevés par les camarades [2], cette prise de position a le mérite d’offrir un antidote de classe, prolétarien, aux mensonges et à la campagne idéologique que la bourgeoise propage à l’occasion de cette épidémie. En effet, la prise de position de NC souligne que la question du coronavirus n’est pas un problème, une épidémie, tombée du ciel par hasard et qu’elle est directement produit et facteur des contradictions capitalistes : produit direct en Chine de l’exploitation intensive du travail par le capital pour les besoins de la guerre commerciale exacerbée d’aujourd’hui du fait de l’impasse économique ; facteur particulier d’accélération, et non pas cause, des tensions impérialistes et surtout de la crise économique.
En fait, la propagation du virus aurait pu être évitée et atténuée. Mais, comme le mentionne Nuevo Curso, du fait des réductions ou de l’absence de financement des systèmes de santé, l’épidémie risque de submerge les systèmes de santé si un grand nombre de personnes sont infectées en même temps. On rapporte que 10% des infections conduisent le patient à nécessiter des soins intensifs, comme par exemple une assistance respiratoire. Si un très grand nombre de malades ont besoin de soins intensifs urgents alors que les hôpitaux sont débordés, beaucoup risquent de mourir. C’est ce qui s’est passé à Wuhan où les hôpitaux ont été complètement débordés par l’arrivée d’un nombre croissant de personnes gravement atteintes au point de devoir refuser des malades et de les laisser mourir dans la rue. La capacité du virus à se propager rapidement et à submerger le système de santé explique les efforts drastiques déployés pour ralentir la vitesse de propagation, malgré l’impact économique de la fermeture de villes entières. Tant dans son origine que dans sa propagation, l’épidémie de coronavirus est une épidémie du capitalisme.
Le coronavirus est aussi l’occasion pour la bourgeoisie mondiale de reprendre la main vis-à-vis du prolétariat international aux plans médiatique et idéologique pour effacer des esprits et des mémoires la succession de luttes ouvrières et de révoltes sociales massives de ces derniers mois. Les appels à l’union nationale au nom de la santé et de la lutte contre l’épidémie sont systématiques. Et surtout, la propagation du virus est déjà le cache sexe avancé pour cacher les causes réelles de l’explosion de la crise économique et financière qui vient. Il n’en est qu’un facteur accélérateur du fait de la paralysie économique soudaine qu’il a contraint la bourgeoisie, à commencer par la chinoise, à finalement décréter. La crise et les drames qu’elle va multiplier nous seront présentés comme causés par le coronavirus alors même que son éclatement est inscrit depuis plusieurs mois dans le ralentissement international, voire la récession effective comme en Europe, de la production et du commerce. Enfin, le coronavirus est l’occasion de renforcer les dispositions étatiques policières et de contrôle des populations au moyen des mises en quarantaine de villes et de régions entières.
Nous appuyons la prise de position de Nuevo Curso lorsqu’elle met en avant la seule alternative ou réponse possible non seulement aux catastrophes diverses et variées, mais surtout à la catastrophe principale dans laquelle le capitalisme nous entraîne inexorablement s’il n’est pas finalement abattu par l’insurrection et l’exercice de la dictature du prolétariat. Nuevo Curso mentionne "la guerre". Pour notre part, nous la qualifions de "guerre impérialiste généralisée", c’est-à-dire de 3e Guerre mondiale. « La lutte contre les sacrifices exigés par l’État et "l’économie", est le seul véritable obstacle que la guerre rencontrera. Les ennemis les plus dangereux et les plus constants des besoins et de la vie humaine se trouvent à l’intérieur de chaque pays et ce ne sont pas les virus qui viennent "de l’extérieur" ni les armées des pays voisins ».
Produit et facteur, certes tout particulier et temporaire, des contradictions du capital, l’épidémie de coronavirus devient à son tour un élément, mineur et tout aussi momentané, mais réel et à part entière, des confrontations massives entre les classes, qui sont le prélude à la résolution dans un sens ou dans l’autre de l’alternative historique révolution ou guerre.
Ce que révèle le coronavirus... (Nuevo Curso 28 février 2020)
Au moment où nous écrivons, le secrétaire général de l’OTAN vient juste d’annoncer que la Turquie avait invoqué l’article 4 du traité de l’OTAN et que l’organisation militaire allait tenir une réunion d’urgence. La possibilité que l’alliance qui a structuré le bloc américain pendant la guerre froide entre en action pour la première fois à la demande d’un État membre fait suite à l’escalade militaire entre la Turquie et la Russie et à l’ouverture des frontières de la Turquie aux réfugiés qui demandent l’asile en Europe. C’est le point culminant d’une semaine où la consolidation de Bernie Sanders en tant que favori dans la primaire démocrate aux États-Unis et l’arrivée de l’épidémie de coronavirus en Europe ont été les deux faits majeurs mondiaux de la semaine. Dans ce blog, nous relevons la révolte des îles grecques de la mer Égée contre la construction de nouveaux centres dans lesquels enfermer les réfugiés. Mais cette semaine, il faut relever trois autres faits majeurs : le renouveau de la course aux armements nucléaires, la violence croissante des négociations entre la Grande-Bretagne et l’UE et, surtout, la réalité que la menace d’une pandémie mondiale a révélée.
La nouvelle course aux armements nucléaires
Le contexte général dans lequel se déroule la crise russo-turque n’est certainement pas rassurant. Mercredi, le commissaire de l’ONU [Izumi Nakamitsu] au désarmement a averti que « le spectre d’une course effrénée au nucléaire est devenu réalité pour la première fois depuis les années 1970 » [3], ce qui a sonné l’alarme sur la prolifération d’une génération "plus rapide et plus silencieuse" d’armes nucléaires.
Il n’y a là aucune exagération. Le jour même, nous avons appris que les États-Unis avaient simulé une guerre nucléaire limitée contre la Russie la semaine dernière [4]. Et l’expression "limitée" est précisément ce qui est vraiment dangereux : la nouvelle doctrine nucléaire qui est en train de s’affirmer considère que "l’escalade est légitime pour pouvoir passer à la désescalade" et que par conséquent l’utilisation d’armes nucléaires ne doit pas nécessairement conduire à une conflagration totale.
La menace d’un "Brexit dur" revient
En vérité, nous voyons chaque jour une augmentation des tensions impérialistes à tous les niveaux. Dans les institutions européennes, la nouvelle de cette semaine est que la Grande-Bretagne a menacé de se retirer des négociations avec l’Union Européenne en juin. La déclaration de Johnson a fait le point sur le processus dans lequel les britanniques et les continentaux ont défini leurs lignes rouges pour les négociations qui débuteront dans une semaine. Il en résulte que ce qui devait établir les bases d’un accord met plutôt en évidence un "cours à la confrontation".
C’était inévitable. D’une part, l’UE a renforcé ses normes standards pour négocier à partir d’une position plus dure. Elle a repris la demande française pour s’assurer que les Britanniques ne pourraient pas entrer sur le marché sans se conformer aux normes de l’Union européenne. Dans le cas contraire, l’absence de réglementation britannique leur donnerait des avantages considérables. La feuille de route de Barnier [le responsable des négociations pour l’UE] inclut l’exigence d’aucune subvention à l’industrie ainsi que des barrières non tarifaires [5] à la production agricole et animale du Royaume-Uni (utilisation de pesticides, d’hormones, de traitements non réglementés, etc.). Cela "entraverait sérieusement" l’accord que la Grande-Bretagne négocie avec les États-Unis et avec lequel elle tente de compenser le coût inévitable de sa sortie de l’UE.
En réalité, il est de plus en plus difficile de se mouvoir dans l’espace politique et commercial entre les puissances européennes et les États-Unis. Le Brexit est avant tout une réorientation de l’impérialisme britannique visant au réalignement auprès des États-Unis qui sont de plus en plus agressifs envers leurs anciens partenaires européens. Il est difficile de ne pas éveiller la méfiance lorsque les intérêts impérialistes sont de plus en plus divergents. Qui peut être surpris que Le Monde ait titré cette semaine « Négociations du Brexit : Londres prêt à tout face à l’UE ? » [6].
Ce que le coronavirus révèle
L’épidémie de coronavirus révèle au monde le contraste entre la sérénité imposée des discours officiels et la réalité d’une économie déchirée par un capitalisme malade. L’origine même de l’épidémie est la gigantesque mais souterraine et invisible industrie de l’élevage d’animaux sauvages. Elle s’est développée sous la protection de la bureaucratie régionale chinoise qui l’a encouragée pendant des années, tout en connaissant les dangers qu’elle comportait, afin d’atténuer l’appauvrissement constant des paysans. Il n’est pas surprenant que l’épidémie sape la crédibilité de la propagande de l’État et que ce dernier tente d’enrayer la flambée des discours critiques.
Mais les autres puissances ne sont pas en reste. Au Japon, le nombre de centres de santé a diminué depuis des décennies et l’appareil politique impuissant dispose de budgets insuffisants pour faire face à l’épidémie. Alors qu’Abe [le premier ministre japonais] a proposé cette semaine la fermeture des écoles à partir de mars, rien n’est fait pour combler les failles d’un système de santé qui a explosé depuis des années. Et nous avons vu quelque chose de semblable aux États-Unis : cette semaine, Trump a refusé d’approuver le financement de la lutte contre le coronavirus si les démocrates ne lui permettaient pas de réduire les programmes d’aide au chauffage pour les pauvres [7].
Une autre vérité mise en lumière par les premières conséquences économiques de l’épidémie est la nature semi-coloniale des pays exportateurs d’Amérique du Sud.
Au Chili, le peso [la monnaie chilienne] a chuté en raison de la prévision d’une baisse de la demande de cuivre de la Chine. Le peso est la sixième monnaie à subir une chute brutale dans le monde et la troisième parmi les pays "émergents". En Argentine, les ventes de viande congelée au géant asiatique ont chuté de 30% de décembre à janvier et le soja a vu ses prix baisser encore plus que prévu. Le capital national, piégé par la renégociation de la dette avec le FMI, ne peut rien faire d’autre que d’ordonner une hausse des taxes à l’exportation, c’est-à-dire d’étouffer le seul secteur significatif d’exportation sur lequel il peut compter. Et on ne peut même pas dire que c’est une nouveauté ; c’est la trentième fois en 62 ans [8]. Le piège dans lequel se trouve le capital argentin n’est pas temporaire. Il est la manifestation de l’impossibilité de son développement indépendant en tant que capital national.
Et bien sûr, il n’en va pas autrement du Brésil, où le real [la monnaie brésilienne] est au plus bas et les marchés boursiers en baisse. Mais tout reste sous contrôle pour une bourgeoisie financière qui s’est réconciliée avec l’obscénité et la brutalité évangélique de Bolsonaro grâce à ses "réformes", c’est-à-dire autant d’attaques de plus en plus brutales sur les conditions des travailleurs.
La dernière de Bolsonaro a été de soutenir une manifestation contre le Congrès qui l’encourageait à provoquer un coup d’État. La presse a crié au scandale et mis en avant le trio de soldats "olympiques", ainsi nommés parce qu’ils étaient responsables de l’organisation des Jeux olympiques de Rio de Janeiro. Azevedo à la défense, Ramos à la présidence et Netto à l’intérieur forment l’un des axes du pouvoir militaire dirigé par le vice-président Murao. Face au scandale médiatique, Lula et le PT ont commencé à discuter à huit-clos d’un "impeachment"... mais ils se sont rendu compte qu’il n’y avait pas d’eau dans la piscine : il n’y avait pas de soutien du capital financier qui veut continuer à liquider Guedes, le ministre de l’économie, et pour cela garder Bolsonaro, ni même d’une bonne partie de la petite bourgeoisie qui, bien que dégoûtée des tendances au coup d’État du président, se réjouit de ses réponses militaristes aux manifestations de décomposition de l’État dans le Nord-Est.
Les obscénités n’ont pas manqué en Europe et n’ont rien à envier à celles de Trump, de la discussion sur un "gouvernement d’unité nationale anti-viral" en Italie à ceux qui ont célébré la baisse des émissions de CO2 en Chine à cause de l’épidémie. Mais c’est l’Allemagne, avec cette forme d’obscénité si caractéristique de la bourgeoisie locale, qui a donné le ton au continent en "découvrant" le danger de l’internationalisation des chaînes de production elles-mêmes. La vérité est que près de la moitié des entreprises européennes en Chine s’attendent à une baisse de 20% de leurs profits et soulignent que les risques viennent s’ajouter à ceux de la guerre commerciale.
En réalité, l’ensemble de l’Europe, et en particulier l’Allemagne, passe par un recul de la production industrielle qui conduit à une récession et entrave la capacité d’introduire des innovations techniques dans des industries traditionnelles comme les machines-outils ou l’automobile - et ce, dès avant le premier déclenchement de l’épidémie. L’épidémie en Chine ajoute, c’est vrai, des risques aux difficultés elles-mêmes et à la guerre commerciale. L’horizon d’une renationalisation des chaînes de production devient de plus en plus clair. Et l’imposition des faits commence à se déguiser sans vergogne sous les traits de la vertu dans le débat public.
Et alors que nous craignons tous que les années d’érosion des systèmes de santé publique - en Grèce et en Italie, mais aussi en France, en Espagne et même en Allemagne - transforment l’épidémie, si elle se propage, en chaos, tranquillement, au milieu d’un bruit médiatique assourdissant, on nous rappelle que l’assurance maladie privée ne couvre pas le coronavirus pour ses clients [9]. Juste au cas où nous penserions que leurs "alternatives" pourraient nous protéger de quelque chose.
Un bilan
Du point de vue des travailleurs, le bilan de la semaine conduit à insister sur le fait que le démantèlement des services de santé publique par les États au cours des deux dernières décennies nous met tous, et en particulier les travailleurs, en danger. Les ’plans d’urgence’ en cas de pandémie ne prennent même pas en compte la remise en état minimal des systèmes de santé érodés et il est douteux qu’en cas de réelle extension de l’épidémie, ils puissent même réagir efficacement.
Alors que nous finissons d’écrire, le secrétaire général de l’OTAN a annoncé que l’organisation se réunira d’urgence à la demande de la Turquie, premier État membre à invoquer l’article 4 du traité obligeant les membres à défendre un membre contre une attaque d’une tierce partie. La "réponse" russe a été l’envoi de sa marine sur les côtes syriennes. La presse russe spécule déjà sur un réalignement de la Turquie avec les États-Unis et sur l’imposition par l’OTAN d’une zone d’exclusion aérienne. Pour l’instant, toutes les parties tentent de maintenir l’escalade à la limite du conflit et du territoire syrien. Mais rien ne garantit qu’il se poursuivra dans ce cadre si les forces russes et de l’OTAN sont engagées dans des combats.
Une fois de plus, ce qui a été une lente dégradation, une longue montée des tensions impérialistes et des frictions armées, devient en quelques heures une menace pour des millions de travailleurs. Cela n’est pas sans rappeler le long processus de démantèlement des services de santé qui est "soudainement" exposé au danger d’une pandémie. Dans aucun des deux cas, on ne peut attendre du capital et de ses États qu’ils sachent se "contenir". Un nouveau million de réfugiés qui fuient maintenant dans des conditions misérables vers les frontières de l’UE peuvent nous en parler.
La seule chose capable d’arrêter le désastre dans lequel le capitalisme se manifeste avec toujours plus de brutalité et sous toujours plus de facettes, est la lutte des travailleurs. La lutte pour des systèmes de santé et de retraite adaptés aux besoins des populations est la véritable défense contre les épidémies actuelles et pour l’avenir. La lutte contre les sacrifices exigés par l’État et "l’économie", est le seul véritable obstacle que la guerre rencontrera. Les ennemis les plus dangereux et les plus constants des besoins et de la vie humaine se trouvent à l’intérieur de chaque pays et ce ne sont pas les virus qui viennent "de l’extérieur" ni les armées des pays voisins.
Notes:
[1] On peut aussi se réfèrer à la prise de position du PCI-Le Prolétaire : Coronavirus : une épidémie que la bourgeoisie ne contrôle pas mais qu’elle utilise pour accroître son contrôle politique et social (http://www.pcint.org/).
[2] En particulier, la phrase selon laquelle « La lutte pour des systèmes de santé et de retraite adaptés aux besoins des populations est la véritable défense contre les épidémies actuelles et pour l’avenir » nous semble pour le moins politiquement confuse, ne serait-ce que parce qu’elle pourrait ouvrir la porte à la défense des services publics.
[3] . https://www.scmp.com/news/world/united-states-canada/article/3052668/world-threatened-race-faster-and-stealthier-nuclear.
[4] . https://www1.folha.uol.com.br/mundo/2020/02/eua-divulgam-exercicio-de-guerra-nuclear-limitada-com-a-russia.shtml
[5] . Barrières non tarifaires : « Ensemble de mesures restrictives non-tarifaires mises en place par un pays et visant à protéger son marché de la concurrence extérieure. Les exemples les plus courants en sont les contingents, les normes techniques ou sanitaires ou des textes législatifs favorisant les entreprises nationales. Ces barrières peuvent également être instaurées au niveau d’une communauté de pays comme dans l’U.E. »(Le dico du commerce international, https://www.glossaire-international.co).
[6] . https://www.lemonde.fr/international/article/2020/02/26/negociations-du-brexit-londres-pret-a-tout-face-a-l-ue_6030900_3210.html
[7] . https://nymag.com/intelligencer/2020/02/trump-administration-coronavirus-budget-response.html.