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Ukraine : l’impasse nationaliste ! (23 février 2014)

Prise de position de la Tendance Communiste Internationaliste

Introduction du GIGC

Le conflit entre les factions pro-russe et pro-européenne de la bourgeoisie ukrainienne est une impasse et un piège terrible pour les ouvriers qui s’y laissent entraîner bien souvent au nom de la lutte contre la corruption et la dictature. La mystification démocratique sert à masquer les rivalités impérialistes qui opposent principalement la Russie à l’Allemagne réunissant autour d’elle l’Union européenne. Car l’Ukraine est à son tour l’enjeu d’une lutte féroce entre les principales puissances impérialistes. Celles-ci n’hésiteront pas à provoquer et entretenir une guerre ’civile’ pour défendre leurs intérêts.
Mais la mystification démocratique sert encore plus et surtout à essayer d’enrôler les travailleurs dans un conflit où ils ont tout à perdre. Ils ne doivent aujourd’hui apporter aucun soutien à un camp contre l’autre comme l’écrivent nos camarades de la TCI. Mais cela ne suffira pas à échapper au piège, ni à arrêter les tueries qui ont déjà commencé. Et encore moins le massacre plus sanglant qui risque d’advenir. Comme le disent nos camarades, c’est en se regroupant sur leurs lieux de travail, en défendant leurs conditions de vie et en luttant contre l’exploitation capitaliste, c’est-à-dire en engageant la lutte contre les forces politiques bourgeoises, et contre l’Etat qu’il soit ’dictatorial’ ou ’démocratique’, pro-russe ou pro-européen, que les ouvriers peuvent se sortir du piège qui se présente à eux.
La voie à suivre pour les travailleurs d’Ukraine ? Celle là même qu’ont prise ces derniers temps leurs frères de classe de Bosnie et de l’ancienne Yougoslavie, qui avaient connu, eux-aussi, l’impuissance dramatique devant les massacres sanglants provoquées par la guerre nationaliste yougoslave dans les années 1990. Aujourd’hui, ils relèvent la tête et combattent, tous ensemble par delà les nationalités, comme classe ouvrière unie, l’exploitation et la misère capitaliste, face aux ravages de la crise et contre des gouvernements ’démocratiques’ et nationalistes ! Telle est la seule voie !
Le GIGC, 23 février 2014.

(Avertissement : la traduction en français du texte des camarades de la TCI a été réalisée par nos soins. Et le temps a manqué pour que les camarades puissent la vérifier. Toute erreur de traduction, surtout si elle impliquait un contre-sens politique, ne pourrait engager la TCI.)


Cela fait maintenant plus de deux mois que la crise politique a explosé en Ukraine. Une manifestation en faveur de l’Union Européenne (UE) ? Nigel Farage [1] ne l’aurait jamais cru (pas plus que beaucoup de gens du Sud de l’Europe). Est-ce qu’ils protestent et se lancent même dans des émeutes parce que leur gouvernement n’a pas réussi à signer un accord d’association et de libre échange avec l’Union Européenne ? Ça a démarré comme une protestation face à l’échec du Président Ianoukovich pour se prononcer en faveur d’un accord qui était en préparation depuis une décennie. Mais c’est devenu plus que cela. C’est maintenant compris comme un signe que rien ne va changer dans une Ukraine corrompue, dominée par les oligarques, et traumatisée par la crise. Les ressentiments qui montaient depuis quelques temps sur toute une série de questions ont trouvé une cause et une sortie.

L’échec de la Révolution Orange

Quand la Révolution Orange soutenue par les Etats-Unis a chassé Ianoukovich en 2004, beaucoup d’Ukrainiens pensaient que c’en était fini de tous les maux politiques du régime post-stalinien corrompu. La victoire électorale frauduleuse de Ianoukovich était annulée et le nouveau régime avec à sa tête Iouchtchenko, et la ’princesse du gaz’ Yulia Timochenko comme Première Ministre, prenait le pouvoir. Mais ça n’a pas duré. Alors que Iouchtchenko restait fixé sur l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN et était pro-occidental, Timochenko voyait que la dépendance à 60% de l’Ukraine de l’énergie russe signifiait qu’un accord avec Poutine était inévitable. Après la crise de 2006, quand la Russie a coupé l’approvisionnement en gaz en plein hiver, Timochenko a commencé à négocier avec Poutine [2].
L’accord qu’elle a signé en 2009 était secret et destiné à laisser Iouchtchenko (alors Président) dans l’ignorance. Avec les deux principales branches de l’ancien mouvement Orange qui étaient à couteaux tirés, et l’économie dans un dérapage massif (chute de 15% du PIB en 2009 [3]) après l’explosion de la bulle spéculative globale en 2007-2008, Iouchtchenko s’est présenté comme l’homme du retour à ’l’égalité’. C’était une prétention ridicule puisque Iouchtchenko fait partie du clan du Donetsk dirigé par le plus riche oligarque d’Ukraine, Rinat Akhmetov, qui a une fortune de 12 milliards de dollars. Inutile de dire que les travailleurs, comme partout ailleurs, sont aujourd’hui dans une situation pire qu’il y a 4 ans.
Un problème pour l’Ukraine est qu’elle est dominée par de tels clans oligarchiques (il y en a 4 qui dominent). Les 50 oligarques les plus riches contrôlent les 2/3 de la richesse du pays. Avec l’appui puissant d’Akhmetov, Ianoukovich (qui était un gangster connu dans sa jeunesse) n’a pas perdu de temps pour régler des comptes après l’élection. Après avoir créé un gouvernement dominé par le clan du Donetsk, il a fait passer Timochenko devant la justice. Elle est elle-même une oligarque dont la grande richesse a été acquise après la chute de l’URSS et en association avec des criminels reconnus aujourd’hui aux Etats-Unis [4]. L’accord avec Poutine qu’avait signé Timochenko fut jugé illégal [5] par le régime qui l’emprisonna il y a deux ans. Sa libération est une des six conditions de l’UE que Ianoukovich, et sa coalition du ’Parti des Régions’ et du ’Parti Communiste’ ont refusé en novembre dernier. Il modifia aussi la Constitution pour s’octroyer, comme Président, plus de pouvoir alors que les arrestations et le harcèlement des opposants politiques s’est aggravé. Si on jette un oeil sur la ’politique’ de Poutine, alors on a l’image de l’Ukraine.

Dans l’étau de l’impérialisme

L’Ukraine est en fait en train de cuire dans la cocotte-minute impérialiste. Depuis 2007, les performances de son économie ont été parmi les plus mauvaises dans monde avec la baisse drastique de la valeur de son plus important revenu d’exportation : l’acier. Les prêts du FMI ont été interrompus puisque le régime était incapable de mener les réformes qu’il demandait. Avec 15 milliards $ de ses prêts à rembourser l’année prochaine et un déficit continu du budget, Ianoukovich (qui cherche à être réélu en 2015) s’est retrouvé dans une situation désespérée. L’accord avec l’UE, quant à lui, offrait plus d’argent (27 millions €) mais dépendait de si nombreuses conditions et d’une échéance à si long terme qu’elle rendait Ianoukovich une proie facile pour la pression immédiate russe.
Et les Russes piqués au vif par tant d’humiliations de la part de l’OTAN [6] et de l’UE, ont fait pression sur nombre de leurs anciens satellites pour des accords économiques au lieu de se tourner vers l’Ouest. L’Arménie qui est dépendante de la Russie pour sa sécurité, a été forcée de revenir dans le camp russe et l’Ukraine a suivi. Poutine n’avait à offrir que la réduction du prix que l’Ukraine paie pour son gaz de 400$ par mètre cube à 268,5$ et un prêt de 15 milliards de dollars avec 3 millions immédiatement et 2 millions à la fin janvier) pour convaincre Ianoukovich. Les prêts à court terme de Poutine sont pour les cas urgents et en plus il ne prend que 5% d’intérêt sans exiger le respect de conditions comme le fait l’UE.

Les protestations

Au début, les protestations après le 21 novembre étaient relativement faibles. Réalisant que l’ouverture (et la possibilité d’avoir du travail mieux payé) était maintenant bloquée, les étudiants et autres jeunes (surtout des couches moyennes) ont été parmi les premiers à protester et à occuper les rues. Et en particulier la Place de l’Indépendance où le campement de ’l’Euromaidan’ (la Place de l’Euro) fut dressé. Cependant, le 30 novembre, à la vue de la police anti-émeute (Berkut) et des paramilitaires mafieux (titushjky) attaquant les protestataires pacifiques, des manifestations de plus en plus massives ont explosé. Elles ont démarré dans l’Ouest du pays et se sont depuis étendues jusqu’à la région de Ianoukovich à l’Est et au Sud. Des locaux des autorités locales ont été occupés dans plusieurs villes et des tentatives de structures municipales alternatives furent mises en place.
Tous les groupements politiques d’opposition se sont engagés et Poutine a eu certainement raison de dire qu’il y avait des interférences étrangères dans le mouvement. Même s’il critiquait les visites d’officiels de haut rang de l’UE et du Sénateur américain John McCain qui a exprimé sa solidarité aux manifestants, il y eut plus important. Le ’Parti de la Patrie’ de Yulia Timochenko ne tarda à donner son soutien aux manifestations (sa libération était une condition de l’accord avec l’UE). Le parti est maintenant dirigé par Arseni Yatseniouk, un ancien ministre des affaires étrangères qui appuyait fortement les réformes d’austérité proposées par l’UE. Au côté du ’Parti de la Patrie’, on trouve des partis comme l’UDAR, de l’ex-boxeur Vitali Klitschko, qui fut fondé à l’origine avec l’aide financière allemande de la Fondation Konrad Adenauer et qui est très proche de la CDU d’Angela Merkel. Klitschko serait aussi proche d’Oleh Tyahnybok, le chef du Mouvement Svoboda (Liberté) néo-nazi et anti-sémite qui a des élus au Parlement et qui est dans le même groupe réactionnaire que le Bristish National Party au Royaume Uni, Jobbik en Hongrie et le Front National en France.
Svoboda et l’extrême droite ont été jusqu’à maintenant les principaux gagnants. Tyahnybok a appelé à la ’révolution’ et ses partisans sont la force dominante des milices dans les occupations (excluant même les autres groupes qui ne leur plaisent pas comme le Splina Spranan, le groupe Cause Commune, qui représente la petite-bourgeoisie de l’Ukraine de l’Ouest).
Cependant beaucoup sont de plus en plus suspicieux vis-à-vis des partis politiques. Beaucoup d’Ukrainiens de l’Ouest, pas tous pro-UE, aident l’opposition avec de l’argent, du matériel et en donnant de leur temps en donnant de leur temps personnel. La détermination et l’organisation des manifestants a stupéfié le régime. Ils sont restés retranchés durant deux mois sur la Place de l’Indépendance (l’’Euromaidan’) par des températures en-dessous de 0 degré. Même les fêtes de Noël et de Nouvel An n’ont vu qu’une baisse temporaire du nombre de participants.

La réponse du régime

La réponse initiale du régime a été d’essayer de tenir bon. Mais à la fin novembre, il estima qu’il pouvait intimider les manifestants par une répression brutale (dans laquelle 7 personnes au moins furent tuées et beaucoup furent torturés). Après le Nouvel An, il décida d’introduire des mesures légales encore plus répressives. La loi passa au Parlement le 16 janvier. Elle instaurait une véritable dictature et interdisait toute forme de protestation. Il fut aidé par les sbires du ’Right Sector’ (’Secteur de droite’), une collection hétéroclite d’ultra-nationalistes et de néo-fascistes en grande partie composée de hooligans de football. Ils s’opposent au groupe néo-fasciste officiel Svoboda l’accusant d’être libéral. Ils ne sont pas pour un rapprochement avec l’UE ni avec la Russie mais pour une Ukraine racialement pure qu’ils estiment dirigée par les juifs voulant soi-disant donner des droits aux homosexuels. Ils ont été acceptés par les manifestants plus libéraux parce qu’ils se sont violemment affrontés à la police anti-émeute (Berkut). Cependant, selon l’AST (le Syndicat des Travailleurs Autonomes, un groupe anarchiste en Ukraine), on trouve les mêmes slogans antisémites et anti-homosexuels sur le réseau social des titushky qui sont avec le Berkut. Ces groupes sont souvent dirigés par d’ex-officiers de police et ils opèrent comme les escadrons de la mort en Amérique Latine. L’enlèvement des manifestants blessés dans les hôpitaux afin d’être torturés et, en plusieurs occasions tués, leur ait attribué [7].
Bref, il y a des éléments répugnants des deux côtés de ce conflit. Il est donc risible de lire les commentaires de sites web trotskistes décrivant les manifestants comme ’d’extrême droite’, comme si le régime de Ianoukovich ne l’était pas. Nous nous retrouvons avec une Ukraine inondée sous l’idéologie nationaliste avec deux fractions de droite qui sont également à combattre. Si le ’Right Sector’ a fait les titres jusqu’au 16 janvier, son influence tend aujourd’hui à se réduire. De plus en plus de protestataires se sont joints aux manifestations pour s’opposer à l’aggravation du contrôle autoritaire. Nombre d’entre eux sont indifférents au nationalisme et ne sont pas attirés par l’UE. Certains d’entre eux ont commencé à suggérer que le ’Right Sector’ était en fait complice du régime du fait que ses provocations étaient un prétexte pour développer plus de répression.
Depuis le 16 janvier, les manifestations et les occupations ont commencé à réellement gagner les régions du clan du Donetsk à l’Est et au Sud de l’Ukraine. Cela a obligé Ianoukovich à réfléchir. Le régime recule maintenant et cherche une solution négociée. Les lois du 16 janvier ont été abrogées, le Premier Ministre et son cabinet ont démissionné et Ianoukovich a fait plusieurs offres à l’opposition pour un accord afin de calmer les choses. Même les oligarques qui soutiennent Ianoukovich ont averti du danger de guerre civile et appelé au dialogue. Ianoukovich a essayé de gagner du temps en se déclarant malade. Il prétend avoir ’un problème respiratoire aigu’ (’il aurait attrapé froid’ comme disent les gens) mais il continue à diriger le pays. Il en a profité pour repousser les discussions avec l’opposition dans l’espoir qu’elle se scinde à propos du contrôle des locaux gouvernementaux qu’elle occupe. En fait, ce qui fait l’unité de l’opposition c’est le renversement de Ianoukovich.

Une perspective pour le prolétariat

Tout au long de ces événements, la classe ouvrière a été largement absente. Elle a certainement manqué comme force de classe. Sous le contrôle formel de la Fédération des syndicats ukrainiens, elle est restée passive. Elle avait de bonnes raisons de l’être. Aucune des factions en lutte actuellement ne défend ses intérêts. De façon immédiate, ce n’est pas pire avec Ianoukovich puisque tout accord avec l’UE (et le FMI) signifie des ’réformes’ et tous les travailleurs du monde savent aujourd’hui ce que cela veut dire. Cela signifie une plus grande précarité de l’emploi, des salaires en baisse, moins de sécurité sociale et des retraites diminuées. Le long terme, lui, est un capitalisme global en crise avec une Ukraine comme un de ses cas les plus dramatiques. Les ’réformes’, nécessaires pour que le capitalisme puisse continuer à fonctionner en Ukraine, portent toutes sur les attaques aux conditions de vie des travailleurs comme il en va partout dans le monde. Et l’Ukraine n’est pas le seul pays qui voit une montée de la droite radicale et même néo-fasciste. Les capitalistes ont toujours ’divisé pour régner’ et il leur est plus facile de rejeter la responsabilité de la crise sur les ’autres’, les immigrants, c’est-à-dire les chômeurs des autres groupes ethniques. C’est une histoire plus vieille que le capitalisme mais elle n’a jamais été autant nécessaire pour nos exploiteurs qu’aujourd’hui. Mais la classe ouvrière mondiale est une classe de migrants. Elle n’a pas de patrie, elle n’a que le monde à gagner.
En Ukraine, cette tâche peut apparaître décourageante. Former un mouvement de la classe ouvrière autonome et indépendant dans les circonstances présentes n’est pas facile. Cependant les quelques éléments prolétariens qui ont comme pespective la révolution, doivent chercher à coopérer et à travailler pour des objectifs communs. En premier lieu, il ne faut accorder aucun soutien à une des factions bourgeoises qui ne représentent que des aspects différents de l’exploitation et de l’oppression. En même temps, une véritable organisation politique de classe pourra apporter son appui sur les lieux de travail, dans les quartiers et dans les occupations à toute initiative visant à développer la solidarité de classe et la confiance en elle-même. De même, il faut développer la propagande politique contre toutes les factions bourgeoises et diffuser l’idée que la lutte des travailleurs ukrainiens n’est pas isolée et qu’elle fait partie de la résistance globale à l’exploitation capitaliste. Le chemin est encore long mais cela pourrait fournir un point de départ. Enfin, les ouvriers d’Ukraine doivent se joindre aux bataillons de la classe ouvrière mondiale dans le but de construire un mouvement international et internationaliste afin de détruire un système qui a depuis longtemps montré sa propre inutilité.
Jock, CWO/TCI, 3 février 2014.

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Notes:

[1Un politicien britannique ’euro-sceptique’ (note du traducteur).

[4Pavel Lazarenko qui fut aussi Premier Ministre sous le Président Kuchma. Les Nations Unies disent qu’il a volé 200 millions de $. Il a été condamné aux Etats-Unis en 2006 à 9 ans pour blanchiment, fraude et extortion. En 2004, Transparency International l’a mis à la 11ème place sur la liste mondiale de la corruption.

[5En fait, en acceptant de payer au prix du marché mondial, Timochenko a paralysé la compagnie de gaz ukrainienne Naftohaz qui offre 80% de ristourne à ses clients qui ne peuvent pas payer le prix de Poutine. En finir avec cette subvention est une des ’réformes’ demandées par le FMI et, moins durement, par l’UE. L’accepter serait un suicide politique pour tout gouvernement ukrainien. Voir indexmundi.com

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