Tracts et communiqués précédents

AccueilVersion imprimable de cet article Version imprimable

Il faut dépasser le moment "gilets jaunes" (Nuevo Curso)

Nous publions la prise de position de Nuevo Curso (Espagne) sur l’état de la lutte des gilets jaunes en France suite à la manifestation du samedi 22 décembre. Même si nous ne partageons pas nécessairement toutes les formulations employées par les camarades - un certain nombre nécessiteraient des clarifications -, nous sommes d’accord à la fois avec l’analyse fondamentale qui est faite du mouvement en soi, les limites de son caractère inter-classiste d’origine ; et de sa dynamique aujourd’hui en recul après cinq semaines de mobilisation. Le facteur fondamental qui explique ce recul est l’absence de relai repris et assuré par la classe ouvrière comme telle et la reprise en main par la bourgeoisie française et son État d’une situation qui l’avait surprise et lui avait échappé au moins jusqu’à la veille du samedi 8 décembre. C’est la principale leçon que la composante ouvrière des gilets jaunes et l’ensemble du prolétariat en France doivent retirer de cette mobilisation inédite. L’autre leçon que nous devons tous retirer, surtout les révolutionnaires, est que les confrontations massives entre les classes dans lesquelles nous sommes ouvertement entrés maintenant, vont être extrêmement violentes du fait de la répression massive et brutale employée par les États, y compris dans les pays "à tradition démocratique".

Est-il besoin de souligner que ces leçons s’adressent aussi au prolétariat international ; et cela très concrètement du fait même de l’écho et de la "sympathie" que les gilets jaunes ont rencontré au niveau international ? Mais il est une autre leçon avec laquelle Nuevo Curso conclut son texte : l’heure et l’urgence sont au regroupement, aux rassemblements et aux débats de clarification politique et théorique pour les minorités révolutionnaires et au combat pour le parti prolétarien international de demain. En ce sens, la prise de position de Nuevo Curso dont aucun participant n’est "français" ou vivant en France, cette capacité à "se mêler des affaires d’autres pays", est une manifestation concrète d’internationalisme. Le fait de se prononcer sur une situation étrangère, ou lointaine, peut rencontrer la difficulté de manquer d’éléments concrets pour saisir la dynamique exacte du cours quotidien des événements. Mais en même temps, elle permet d’avoir un certain recul avec la situation immédiate et, ainsi, d’avoir une vision plus distanciée et d’ensemble de la dynamique générale. C’est aussi comme cela que nous luttons pour et préparons le parti international de demain.

Le GIGC, 24 décembre 2018.

Il faut dépasser le moment "gilets jaunes"

Macron démission ! Macron démission ! Drapeaux tricolores bourgeois, la Marseillaise et son patriotisme sanglant. Le sixième samedi des gilets jaunes n’offrait aucune issue à la confusion : quelques milliers de "gilets jaunes" contre la plus grande concentration policière depuis des décennies, sans la participation de groupes politiques, ni black blocs... seuls manifestèrent les derniers ’gilets jaunes’ exprimant et prétendant représenter ces 70% de la population française qui s’identifie avec la frustration canalisée par le mouvement sans arriver à aboutir à l’affirmation prometteuse de nécessités universelles et qui a amené le gouvernement à céder, pour la première fois depuis des décennies, aux manifestants. Le mouvement en revient à ses origines alors que le débat public se centre sur le terrain - très confortable pour la bourgeoisie française - du "Référendum d’Initiative Populaire". Quelle attitude adopter maintenant ?

1. Nous ne devons pas oublier que ce fut l’émergence, en arrière plan, de revendications de la classe ouvrière qui a amené le gouvernement à céder. Macron a reculé face à une tendance, non face à une organisation de masse ; face à une potentialité dans ses premiers développements, non face à la classe ouvrière en constitution ; il a "subi un revers" par une crainte, non par une réalité matérielle. L’objectif de la bourgeoisie française était de stopper immédiatement un processus qui commençait à apparaître. Le résultat a été que le mouvement a effectivement perdu de sa force de pression et de massivité. Bien que la méfiance continue. Avec raison. La bourgeoisie ne dit pas la vérité ni même quand elle arrête de mentir. Et pour commencer, il est clair que la promesse d’augmenter le salaire minimum de 100 euros ne sera pas tenue, du moins pour une bonne moitié de ceux qui sont au SMIC. Méfiance, rancœur et rage mélangées à un sentiment d’avancées dont on ne sait pas qui va en bénéficier. Voilà où nous en sommes.

2. S’il n’y a pas d’évolution, s’il n’y pas d’émergence de minorités qui aillent plus loin, un ferment pour les luttes futures... alors avoir désarticulé l’élément de classe sera un grand triomphe des concessions préventives de Macron. Elles permettent de réduire la lutte et le champs de bataille sur le terrain connu et marécageux de l’État et de la bourgeoisie avec la petite-bourgeoisie. Bien sûr, tout cela n’est pas non plus une bonne affaire pour la bourgeoisie française. Avec le referendum d’initiative citoyenne, l’éventuelle apparition d’un parti "gilets jaunes", les changements constitutionnels, Macron a conjuré le danger pour la bourgeoisie de voir une composante de classe prendre le dessus dans la mobilisation... Mais cela risque d’ouvrir une longue phase de stagnation et de paralysie politique pour la bourgeoisie comme en Allemagne et surtout en Espagne [1].

3. Du point de vue des prolétaires, le danger est de s’attacher au fœtus d’un mouvement qui a avorté, s’enfermant de nouveau dans la "citoyenneté" et sous les drapeaux populaires et patriotiques. C’est la nouveauté par rapport à la situation en Espagne. La petite-bourgeoisie indépendantiste catalane n’a pas réussi à attirer les ouvriers derrière son drapeau. Ni la réaction du nationalisme espagnol. Cependant, les "gilets jaunes" sont autre chose. Pour beaucoup de prolétaires, ils semblent être des "nôtres" et beaucoup, déboussolés, associent la "révolution" aux drapeaux "citoyens", du "peuple", particulièrement dans les régions anciennement sous contrôle stalinien [2].

4. Ainsi, nous sommes passés d’une promesse de dépassement vers un mouvement de la classe ouvrière au remake d’un nouveau 1830 [3]. C’est-à-dire que ce n’est que maintenant que nous voyons la portée de la défaite des années 1970 et 1980. Elle n’est pas dans la démobilisation et la passivité des vingt ans qui suivirent, ni même dans les difficultés pour trouver des réponses de classe durant les dix ans de crise que nous traversons... mais dans la faiblesse des prolétaires d’aujourd’hui, et probablement dans le futur, face aux autoroutes vers le néant dont la petite-bourgeoisie désespérée nous offre généreusement.

Que faire ?

Plus d’une génération a passé depuis ces luttes prolétariennes et il en résulte qu’on risque encore de mettre en scène un prolétariat d’un autre temps quand il se traînait derrière la petite-bourgeoisie démocratique... Alors qu’aujourd’hui, nous sommes dans un capitalisme décrépit dans lequel le révolutionnarisme petit-bourgeois est l’apogée de la réaction. Soixante-dix ans de stalinisme et vingt ans de campagnes sur la "disparition de la classe ouvrière" ont déformé et détruit la mémoire prolétarienne. Mais, sauf à avoir une conception évolutive et accumulative de la conscience de classe, il ne faut pas non plus en avoir peur. Les tâches qui nous attendent sont nombreuses et urgentes. Mais elle ne sont pas foncièrement nouvelles. Et au niveau où nous en sommes, elles ne sont pas non plus trop compliquées. De la France à l’Iran [4], nous sommes dans un moment où il convient de regrouper et d’organiser tous ceux qui sont plus avancés pour que nous devenions les dissolvants des citoyennetés et le ferment utile pour l’organisation en classe.

Cherchais-tu un but pour 2019 ? Il est temps de dépasser le moment "gilets jaunes". Tout ce qui s’agite ne va pas nécessairement de l’avant. Il est temps de rencontrer de nouveaux camarades, de discuter avec eux, de retrouver les outils basiques et de nous organiser.

Nuevo Curso, 23 décembre 2018

Accueil


Notes:

[1. Ici les camarades de Nuevo Curso mentionnent le fait que les appareils politiques des différentes nations capitalistes semblent éprouver, chacune à partir de conditions et traditions historiques nationales, des difficultés à faire des choix décisifs face aux défis de tout ordre qu’elles rencontrent face à la crise du capital et à ses conséquences d’ordre international, impérialiste, économique et social. Par exemple, la fin de règne de Merkel qui se prolonge, exprime les difficultés et contradictions que la bourgeoisie allemande éprouve pour faire des choix tranchés en particulier quant à son rôle et destin au niveau international, tant européen que mondial ; c’est-à-dire en tant que puissance impérialiste [Note du GIGC].

[2. Nuevo Curso se réfère ici à son article https://nuevocurso.org/por-que-crecen-los-partidos-xenofobos-en-distritos-que-votaban-a-los-pcs/. Même si, formellement, les gilets jaunes ne proviennent pas particulièrement des anciennes municipalités tenues par le PC durant des décennies, il n’en reste pas moins qu’ « en Espagne, au Portugal et en partie en France, une nouvelle gauche populiste s’est consolidée, en grande partie dans les zones désindustrialisées du Nord-Est de la France et des faubourgs de Paris et Marseille, dans des quartiers traditionnellement considérés comme ’inféodés’ au Parti communiste français et dans lesquels c’est Le Pen qui triomphe maintenant » (Nuevo Curso) [note du GIGC].

[3. Les camarades de Nuevo Curso se réfèrent ici aux journées révolutionnaires de 1830 en France qui virent l’avènement de la Monarchie de juillet avec le roi Louis-Philippe, mis en avant par la bourgeoisie financière principalement, contre la dynastie des Bourbons et la vieille aristocratie. Le prolétariat parisien, fer de lance de la révolution, qui réclamait la République, mais noyé dans le ’peuple’ et la petite-bourgeoisie, fut utilisé et manipulé au profit de la bourgeoisie... [note du GIGC].

[4. Une véritable grève de masse a eu lieu dernièrement en Iran à la fois contre la misère et la guerre. Les camarades de Nuevo Curso tout comme la Tendance Communiste Internationaliste ont rapporté sur ces luttes et leur signification politique pour le prolétariat international. On peut en particulier se référer aux pages web suivantes : https://nuevocurso.org/soviets-en-iran-hay-una-revolucion-en-marcha/ ou encore en anglais sur le site de la TCI : http://www.leftcom.org/en/articles/2018-11-30/iran-workers-strikes-and-protests-continue. Pour notre part, nous espérons pouvoir publier un des ces articles dans le prochain numéro de notre revue Révolution ou guerre [note du GIGC].

Sommaire